Peut-on comme le fait les Echos bourrer le crâne des gens d’injonctions à consommer, puis leur reproche de le faire ? Quelles sont les forces qui s’exercent sur les individus pour leur faire adopter tels ou tels comportements ? Est-ce que la liberté individuelle, ce serait pas un peu de la m*rde ?

Propos liminaires

Cet article est un message envoyé à un collègue qui réagissait à un article des Echos : les ados une génération verte ?. Ma première réaction à l’article avait été de souligner l’injonction paradoxale entre le fait de bourrer le crâne des gens d’injonctions à consommer, puis de leur reproche de le faire.

La réaction de mon collègue avait été la suivante :

« Ce n’est pas parce que ON (qui au fait?) fait mal que je dois/peux faire comme lui. […]

Les petits et les moyens sont nombreux, en démocratie ils sont libres de voter. Voilà où s’exprime notre liberté de citoyen écologiste. Ils sont libres de participer à à des mouvements, des projets (shift project par ex).

Tu es en train de dire que tu ne crois plus à notre liberté, qu’elle ne sert à rien ? Tu ne crois plus au pouvoir du plus grand nombre ? Tu ne crois plus aux vertus de l’information et de l’éducation des citoyens pour les amener d’eux même à choisir un mode de vie plus respectueux des générations futures ?« 

Pour lui répondre, je me suis basé sur deux constats.

Notre liberté est contrainte par le cadre socio-technique

Le premier est par exemple décrit dans le rapport « Faire sa part » de Carbone 4. Les gestes individuels sont importants, ils représentent 25 à 40% du chemin à parcourir, mais avoir un comportement véritablement durable demande une énergie folle tant le système socio-technique n’est pas adapté. C’est compliqué d’avoir des produits en vrac, d’avoir des légumes locaux et de saison, d’avoir un vrai plat sans viande à la cantine d’entreprise, de trouver des artisans formés pour isoler sa maison, d’aller au travail en vélo ou de voyager faute de piste cyclable et d’emplacements vélo dans les trains, d’acheter français vu la désindustrialisation du pays, de se faire livrer sans passer par Amazon qui offre ses service de livraison à beaucoup de service d’e-commerce…
Rien n’est adapté et changer ses comportement relève du parcours du combattant.

C’est par exemple la principale critique qu’on m’a fait sur le Moulin Bleu : le « modèle Oasis » ne passe pas à l’échelle. C’est impossible pour une femme célibataire ouvrière avec 4 enfants d’envisager un projet comme celui là. Cela nécessite un capital financier, culturel et social très important ainsi que beaucoup de temps libre pour envisager tout ça.

C’est l’objet du MOOC S03E04 d’Avenir Climatique.  

Notre liberté est contrainte par le cadre culturel et social

Le deuxième constat est celui qu’on est conditionné par des forces culturelles qui nous dépassent. Je dis souvent que changer les choses c’est se battre contre 20 ans d’éducation nationale ou contre Hollywood. Personnellement ça m’a pris 15 ans de réflexion (du temps libre) et d’engagement pour arriver où j’en suis parce que les sujets me passionnaient (du capital culturel) et que j’ai fait tout un tas de rencontres inspirante (du capital social). Je conçois parfaitement que tout le monde n’a pas cette possibilité de consacrer autant d’énergie à ça. En tout cas à à 27 ans j’avais envie de gagner plein de sous et je prenais l’avion. 

Culturellement, tout nous enjoint et nous conditionne à un mode de vie consumériste, frénétique et non durable et il est très difficile socialement de s’en émanciper. Ne pas prendre l’avion c’est ne pas voir son frère parti au Canada, c’est perdre de vue ses potes parce qu’on ne participe pas aux enterrement de vie de garçon à Bratislava, c’est raconter ses vacances à vélo à la machine à café quand les collègues parlent de leurs virée en van en Australie. Ne pas être sur TikTok ou ne pas avoir un smartphone à 14 ans, c’est se marginaliser à l’âge ou on construit une identité avec un groupe, c’est un geste très radical qui s’assure une ostracisation de la part de ses camarades de classe.

Avoir un mode de vie différent, même quand on l’assume c’est dépenser une énergie mentale folle à justifier et expliquer ses choix à ses potes, sa famille, en soirée, à des curieux… A dire à sa grand-mère que, non, on ne va pas démissionner (pas encore !) d’EDF pour la rassurer.

Les Echos, d’où sort l’article initial est la propriété du groupe LVMH, groupe de Luxe qui participe largement à cette injonction à la consommation, à la réussite, en plus de participer à l’injonction et à normalisation esthétique des corps (véhicules de la grossophobie ou du validisme entre autres) et à la casse sociale (Merci Patron!). L’hypocrisie est criante.

Autre exemple : j’ai beau me dire allié des luttes féministe et antiraciste et baigner dans un milieu « safe », il n’empêche que j’ai souvent des comportement sexistes et racistes, sans même m’en rendre compte, parce que j’ai baigné toute ma vie dans un environnement qui normalise cette oppression systémique et que je suis toujours du côté des dominants.

C’est l’objet du MOOC S03E05 d’Avenir Climatique.  

Sommes-nous libres ?

Où est la liberté individuelle dans tout ça ? Pour moi la liberté n’a pas de sens sans la possibilité de l’exprimer : je suis libre de démissionner de mon entreprise (au sens ou mon contrat de travail me le permet), ou de ne pas le faire. Sauf que je sens bien que ce n’est pas si simple : il faut manger, payer les traites du crédit immobilier et rassurer Mamie, mon emploi m’apporte une sécurité, mais aussi une satisfaction (c’est cool ce que je fais) et un statut social (je suis cool parce que je fais ce ce taff).

La responsabilité des personnes ayant contribué à mettre en place ce système via leurs choix est-elle la même que celle des jeunes générations nées dans l’hyperconsommation en tant que normalité. La liberté est-elle la même quand on choisit de faciliter sa vie et quand on choisit de renoncer à cette facilité ? L’aversion à la perte me fait penser que non.

Quant au vote et à la démocratie, ma conviction est que ne nous sommes pas libre de voter, pour tout un tas de raison qui vont de l’offre politique actuelle, des mécanismes de parti, de la non-reconnaissance du vote blanc, des modes de représentation, des mandats non révocables ou encore du mode de scrutin majoritaire à deux tours lui-même. J’ai une autre expérience et une autre définition de la démocratie que celle de l’élection. C’est quoi la liberté de donner mandat à quelqu’un de faire ce qu’IL veut pendant X ans ?    

Cela ne m’empêche pas d’agir mais j’essaye de ne pas avoir d’illusion sur l’impact de mes actions et sur le temps que ça va prendre avant d’arriver au point de bascule. Je participe « juste » à la création d’un rapport de force. Un petit texte qui m’a beaucoup inspiré : Pouvoir de détruire, pouvoir de créer de Murray Bookchin. écrit en 1969, tout est dit pourtant en 50 ans il ne s’est pas passé grand chose.

C’est le même raisonnement que pour le climat : je ne crois pas que nous arriverons à rester sous les 2°C, mais cela ne me fait pas basculer dans le Aquoibontisme, enfin la plupart du temps…

Image de couverture : by rawpixel.com / Freepik

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