J’ai eu un ramasse-miette à Noël. Ok, l’événement peut paraître anodin, mais cet objet a toujours été source d”une certaine fascination pour moi quand j’étais petit. J’ai eu longtemps du mal à comprendre pourquoi. Et si c’était juste parce que cet objet était le symbole de la société moderne ?
A quoi sert un ramasse-miette ?
Selon Wikipédia, un ramasse-miettes est « un ustensile ménager destiné à ramasser les miettes disséminées sur une nappe.
Il existe plusieurs modèles de ramasse-miettes de table :
- Le système le plus simple consiste en une petite pelle et une balayette. À la place de la balayette, ce peut être une simple languette d’acier.
- Certains ramasse-miettes sont de simples lames, genre de pelles longues et fines, sans poignée, qui récupèrent les miettes dans une gouttière.
- Les ramasse-miettes dits « à brosse » ou « à rouleaux » sont composés d’un réservoir vers lequel le mouvement du ramasse-miettes sur la nappe envoie les miettes en faisant tourner la (ou les) brosse(s) ronde(s). Ils fonctionnent sur le principe du balai mécanique et sont généralement en métal (inox ou métal argenté), plus rarement en plastique.
- Il existe aussi de petits ramasse-miettes électriques, à piles ou rechargeables, qui fonctionnent soit avec des brosses, sur le principe du ramasse-miettes à réservoir, soit par aspiration. »
…
A la lecture de cet extrait de Wikipédia, on peut tirer trois conclusions :
- Le génie humain ne recule devant aucun progrès technique ;
- L’être humain a quand même du temps à perdre pour inventer des trucs et écrire des articles dessus (et c’est tant mieux !) ;
- L’être humain est prêt à dépenser de l’énergie et des ressources pour une utilité somme toute assez nulle (et ça c’est dommage !).
Le ramasse-miette, ou l’intelligence humaine et l’industrie au service de la flemme
J’aime à penser qu’essuyer la vaisselle, c’est dépenser de l’énergie pour faire un truc que la nature fait très bien toute seule. Pour avoir de la vaisselle sèche il suffit de la déposer sur le bord de l’évier et laisser la physique faire son office (1). Pour les miettes sur la nappe, il existe également une solution qui minimise les ressources dépensées : il suffit d’attendre la fin du repas pour secouer la nappe. Alors pourquoi mobiliser des ingénieurs, un système productif d’acier, de plastique, une infrastructure de transport et un système marchand pour permettre l’existence d’un objet tel que le ramasse-miette ? D’autant plus que quiconque s’est déjà servi d’un ramasse-miettes sait qu’il faut quand même aller secouer la nappe à la fin du repas.
C’est peut être un hasard, mais un des projets du premier Hackahcon de Paris était un dépose-miette, sorte d’antéchrist du ramasse-miette. Pas mal quand on sait que l’évènement a pour objectif d’imaginer et prototyper une série de produits et de services les plus stupides possible, de véritables parodies des dérives des startups aujourd’hui.
La complexité de cet objet va aujourd’hui jusqu’à avoir électrifié son usage.
Le ramasse-miette fait partie des objets que j’ai démonté étant petit au même titre que des stylos, des réveils, complètement hypnotisé par leurs mécanismes. C’est cela qui, au départ, me fascinait dans cet objet étant petit : la complexité de l’objet au regard de la tâche qu’il permettait de réaliser.
La rareté à l’ère de l’opulence
En 1958, John Kenneth Galbraith, un économiste qui fut notamment un proche conseiller de JFK, offrait déjà une réponse dans l’ère de l’opulence. Il expliquait l’émergence d’une nouvelle ère économique, celle de l’opulence : « A présent, il y a abondance de produits. Il est plus de gens qui meurent aux Etats-Unis d’excès que d’insuffisance de nourriture (…). Personne ne peut sérieusement prétendre que l’acier employé à ajouter un mètre cinquante de longueur supplémentaire à nos voitures à titre purement décoratif soit d’une utilité primordiale. » Et donc Galbraith se posait la question suivante : pourquoi, alors que nous n’en avons plus besoin, nous continuons à produire davantage ?
Selon lui, l’économie est passée d’un fonctionnement où le besoin créait l’offre à celui où l’offre créé le besoin, à grand renfort de marketing. En économie, on appelle rareté la tension qui existe entre les besoins et les ressources pour les satisfaire. Nos ancêtres connaissaient la rareté (ils galéraient pour avoir de la farine) mais aujourd’hui, la rareté devrait être derrière nous dans les pays développés (c’est possible d’avoir du pain, une machine à pain, un grille pain…).
Pourtant, on en a recréé en générant et en entretenant un manque qu’on va ensuite pouvoir satisfaire, manque qui vient s’ajouter à la frustration de ne pas avoir les produits qu’ont les autres et à l’angoisse de ne plus avoir demain ceux que nous avons aujourd’hui. Comment expliquer autrement, pour actualiser son exemple, qu’on ait réussit durant ces dernières années à vendre autant de véhicules tout-terrains à des citadins ?
L’impact environnemental de la consommation de l’inutile
Alors pourquoi donc offrir un ramasse-miette ? Parce que c’est possible, que cela existe et qu’on en a les moyens ? L’existence du ramasse-miette nous questionne sur notre rapport à l’utilité de nos consommations, surtout lorsqu’il s’agit d’un cadeau : ai-je vraiment besoin de tel ou tel objet ? Pourquoi me sens-je obligé de faire un cadeau à tout prix, quand même bien il s’agit d’un truc à l’utilité discutable et qui prendra soit la poussière sur une étagère soit de la place dans un placard ?
Chaque année, des cadeaux inutiles sont offert à Noël ou comme souvenirs de vacances, soit des centaines de tonnes de plastique et de métal produites pour une utilité proche de zéro. Pour certains, l’inutilité, voire la nuisibilité sont une évidence crasse. Mais que dire d’un appareil photo numérique quand toute la famille possède déjà le sien ou d’une tablette « pour avoir chacun la sienne », autant d’objets à l’impact encore invisible, mais bien réel.
Il faut que la rareté que les hommes entretiennent prenne fin pour qu’on puisse s’occuper de celle des ressources naturelles (l’eau, le pétrole, le climat) pour laquelle on tire la sonnette d’alarme. Galbraith trace quelques pistes dans cette direction : délier revenus et production, produire des services publics, relâcher l’objectif d’augmentation de la productivité (à quoi bon suer quand on a déjà tout ce qu’il faut ?) et réduire le temps de travail.
Les premières générations de la société de consommation se sont construites par l’accumulation : le fait d’acheter des choses neuves correspondait à un critère de réussite et un certain statut social de celui qui avait triomphé de la rareté. Les pays en voie de développements copient ce modèle car les pays développés n’ont pas encore été capable de leur en montrer un autre, et ce n’est pas le développement durable qui pourra offrir une réponse à cette question.
(1) en minimisant au passage la création d’entropie de l’Univers :p